John Hainsworth Todd et Todd McMahon Inc. (Colombie-Britannique) — 27 mai 2005

Décision sur la conduite professionnelle

Qu'est-ce qu'une décision sur la conduite professionnelle?

Le BSF ouvre une enquête sur la conduite professionnelle d'un syndic autorisé en insolvabilité (SAI) lorsqu'il dispose d'information laissant croire que le SAI n'a pas rempli adéquatement ses fonctions, n'a pas administré un dossier comme il se doit ou n'a pas respecté la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI).

Dans certains cas, les conclusions de l'enquête sont suffisamment graves pour donner lieu à une recommandation de sanction visant la licence d'un SAI [annulation ou suspension de la licence en vertu du paragraphe 13.2(5)] ou imposition de conditions ou de restrictions en vertu du paragraphe 14.01(1) de la LFI.

La décision sur la conduite professionnelle est assimilée à celle d'un office fédéral et peut faire l'objet d'un examen judiciaire par la Cour fédérale.

Dans l'affaire de
John Hainsworth Todd
titulaire d'une licence de syndic
pour la province de la Colombie-Britannique
et de
Todd McMahon inc.
titulaire d'une licence de syndic corporatif
pour la province de la Colombie-Britannique

Décision concernant la conduite professionnelle
rendue sous le régime de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité

I. L'instance

  1. L'audience sur le fond dans la présente instance de conduite professionnelle a commencé devant le soussigné, délégué du surintendant des faillites, le mercredi , à Vancouver et s'est terminée l'après-midi du mardi . Les parties étant d'accord, j'ai entendu toute la preuve sur la question des pénalités en plus de celle sur la responsabilité, avant d'entendre les représentations uniquement sur la responsabilité.

    Après que les représentations de l'avocat de l'analyste principale — Conduite professionnelle (l'« AP ») et celles de l'avocat du syndic individuel et du syndic corporatif (« Todd » et « TMI » ; quand j'emploie « Todd » ci-dessous, souvent je fais référence aux deux, selon le contexte) sur la responsabilité aient été entendues, il a été convenu que l'avocat de l'AP déposerait une réfutation par écrit concernant ce qui était devenu le principal argument de Todd, c'est-à-dire : le temps que l'AP avait consacré à la préparation de son rapport, de 2002, quand le Bureau du surintendant des faillites (le « BSF ») avait commencé son enquête, jusqu'en 2004, quand l'AP avait signifié et déposé son rapport (l'équivalent d'une déclaration dans une instance civile). L'avocat de Todd avait fait valoir que le temps consacré à la préparation du rapport avait causé une injustice et privé son client de la capacité de présenter une défense pleine et entière ou du droit à une audience équitable, contrairement aux principes de droit administratif. À cause de l'écoulement du temps, Todd éprouvait maintenant des pertes de mémoire. Une fois que l'avocat de l'AP aurait déposé sa réfutation par écrit, l'avocat de Todd aurait alors également la possibilité de déposer une réponse par écrit.

    Les représentations par écrit ont été signifiées et déposées comme il en avait été convenu. J'ai pu examiner le dossier et les représentations par écrit des parties et je suis maintenant en mesure de rendre jugement sur la responsabilité et de trancher la question de savoir si je rejette l'instance ou y sursois pour les motifs allégués ou si je rejette ce moyen de défense.

    Si je conclus que la responsabilité des syndics a été établie et rejette l'argument fondé sur le temps consacré à la préparation du rapport et les principes de justice naturelle, les parties ont convenu de déposer leurs représentations par écrit sur la sanction à imposer et de participer ensuite à une téléconférence pour terminer leurs représentations orales. Mon jugement sur cette deuxième question, celle de la sanction, serait rendu par la suite.

    Il convient de mentionner que les syndics ont déposé une requête en sursis de la présente instance devant la Cour fédérale, et que la Cour fédérale ne s'est pas encore prononcée sur la question. Selon l'avocat des syndics, cette requête est fondée sur le même argument, c'est-à-dire, le temps nécessaire à la préparation du rapport, mais dans l'optique de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. La question de l'article 7 de la Charte n'a pas été soulevée devant moi, et il semble que les principes de droit administratif concernant le « retard indu » soulevés devant moi ne l'aient pas été devant la Cour fédérale.

  2. Au mois d', les parties avaient convenu que l'audience sur le fond, qui devait durer une semaine, se tiendrait devant moi à compter du . Selon l'avocat de Todd, c'était la première date à laquelle il pouvait se libérer après la semaine du . Quant à l'AP, la semaine du ne lui convenait pas parce qu'elle devait assister à une réunion importante au BSF.

    Quelques semaines avant le , l'avocat de Todd m'a informé qu'il avait réservé la date du à la Cour fédérale pour présenter une requête en sursis intérimaire de la présente instance combinée à une requête de bref de prohibition et qu'il allait signifier la requête le  ou . J'ai, par conséquent, accepté de reporter le début de la présente audience au lundi , pour éviter toute préparation et tous déplacements inutiles au cas où un sursis serait accordé.

    L'avocat de Todd n'ayant pas signifié la requête comme il s'était engagé à le faire, j'ai communiqué avec lui et il m'a informé qu'il n'avait pas présenté la requête parce qu'il n'avait pas eu assez de temps pour préparer sa documentation. Il m'a indiqué que sa requête serait, toutefois, présentée plutôt le  ou le . Dans mon courriel du à l'avocat de Todd, je me suis déclaré déçu de constater qu'il n'avait pas signifié, le  ou le , comme il s'était engagé à le faire, la requête qu'il voulait présenter devant la Cour fédérale.

    La requête du syndic n'a pas été présentée le  ou le . Encore une fois, nous nous sommes demandé si la nouvelle date du acceptée par toutes les parties tenait toujours. (Une audience à Vancouver impliquait d'importants déplacements, l'AP venait de Toronto, l'avocat de l'AP et le greffier, d'Ottawa et le délégué soussigné, de Montréal).

    L'avocat de Todd m'a également informé de son intention de me demander de me récuser au motif que mon courriel du avait créé une crainte raisonnable de partialité de ma part. Lorsque j'ai appris que le juge Noël de la Cour fédérale allait entendre sa requête le vendredi par téléconférence, nous avons encore une fois accepté de reporter l'audience jusqu'au , pour éviter les déplacements inutiles, etc., si un sursis était accordé. En outre, nous avons convenu que j'entendrais la requête en récusation par téléconférence le lundi , pour ne pas retarder le début de l'audience sur le mérite au cas où la requête en sursis et la requête en récusation seraient toutes les deux rejetées.

    Le , le juge Noël a entendu la requête en sursis, l'a prise en délibéré et indiqué qu'il rendrait son jugement le matin du . Le , j'ai entendu la requête en récusation et l'ai prise en délibéré en indiquant que j'allais rendre jugement au début de l'audience sur le mérite le et que l'audience irait de l'avant si je refusais de me récuser. Le , le juge Noël a rejeté la requête en sursis intérimaire, le j'ai rejeté la requête en récusation et l'audience sur le mérite a commencé.

II. Les faits — Chronologie

M. Gary Davies (« GD ») et Mme April Davies (« AD ») ont consulté M. J. H. Todd « Todd », le syndic individuel, en 1999. M. et Mme Davis s'étaient portés caution de certaines dettes de leur compagnie (« Alda »), en particulier la dette due à « AFC » dont la partie non garantie devait en fin de compte excéder 200 000 $. Leur compagnie avait fait faillite, et leurs dettes s'élevaient à un montant substantiel. M. et Mme Davis avaient l'intention de déclarer faillite à cause de ces cautionnements, et non à cause de leurs dettes personnelles. Todd les a toutefois persuadés de déposer une proposition conjointe de consommateur sous le régime de la LFI puisque leurs dettes personnelles n'excédaient pas le maximum prescrit (75 000 $ chacun) et il semble avoir tenu pour acquis qu'il n'était pas nécessaire, aux fins de la proposition, de prendre en compte les montants que les Davis pourraient être appelés à verser en vertu des cautionnements.

À l'époque, Todd venait juste de quitter son emploi auprès d'un syndic corporatif et il n'avait pas encore le droit d'utiliser sa licence pour pratiquer comme syndic individuel. En outre, il se préparait à ouvrir son tout premier bureau de syndic en partenariat avec M. McMahon, un autre syndic, sous la raison sociale, Todd McMahon inc. (« TMI »), une compagnie qui n'était pas encore titulaire d'une licence de syndic corporatif. TMI n'a reçu sa licence qu'en .

Pour Todd, on ne sait trop pourquoi, l'affaire était très urgente. Il a, par conséquent, décidé de communiquer avec M. Orrell (« Orrell »), un ami et un syndic, et, à ce moment-là, employé par Deloitte Touche inc. (« Deloitte »), un syndic corporatif. Orrell vouait une confiance aveugle à Todd et a accepté, sans poser trop de questions, que la proposition de consommateur soit présentée sous le nom de Deloitte comme administrateur et de signer, comme syndic individuel responsable, au nom de Deloitte, tous les documents préparés et présentés par Todd. Deloitte, toutefois, ignorait tout de cet arrangement; personne n'a ouvert de dossier dans les bureaux de Deloitte, Todd a préparé toute la documentation et s'est également chargé de la transmettre aux créanciers, au BSF, etc. Todd a bientôt cessé de faire signer les documents par Orrell et a commencé à substituer son propre nom ou celui de TMI à celui de Deloitte sur les documents sans jamais se donner la peine de modifier la proposition pour effectuer le changement d'administrateur de la manière prévue dans la loi. Il semble avoir tenu pour acquis qu'il lui suffisait d'avoir en sa possession un document signé par les débiteurs autorisant le changement d'administrateur et, bien que Todd ait promis à Orrell que la substitution de Todd à Deloitte comme administrateur prendrait quelques semaines au maximum, aucun changement n'avait en réalité eu lieu. Orrell, qui avait toujours confiance en Todd, avait tenu pour acquis que ce dernier avait fait le nécessaire pour changer le syndic. En réalité, Deloitte est demeurée techniquement syndic de la proposition jusqu'en 2003. Cette année-là, Deloitte (Orrell ne faisait plus alors partie de l'effectif de Deloitte) a été obligée de s'adresser au tribunal, à grands frais, pour être remplacée par Todd ou TMI comme administrateur/syndic de la proposition rétroactivement à la date du dépôt de la proposition.

En dépit de tout cela, Todd a continué à insister pendant longtemps qu'il était devenu administrateur de la proposition en 1999, qu'il n'était pas tenu de réunir les créanciers en assemblée et de leur demander d'approuver le changement d'administrateur, qu'il n'avait pas l'obligation d'aviser les créanciers et le BSF, et que la question avait été réglée en inscrivant simplement un autre nom sur les documents. L'omission d'effectuer le changement d'administrateur ne représente qu'un exemple des nombreux actes et omissions de Todd et des nombreuses violations par Todd de la LFI et des Règles.

Dès la première consultation, Todd savait que la proposition visait principalement à protéger les débiteurs des poursuites judiciaires importantes qu'auraient pu intenter les créanciers d'Alda, en particulier AFC, puisque les débiteurs avaient cautionné les dettes d'Alda. Todd avait la liste complète des fournisseurs d'Alda en sa possession (il avait annexé cette liste aux documents déposés auprès du BSF, mais pas à ceux transmis aux créanciers), mais n'a jamais cherché à savoir quels créanciers d'Alda avaient des cautionnements et quels en étaient les montants. Dans les documents qu'il a préparés et déposés, tel que le bilan initial déposé auprès du BSF, il est clairement question de cautionnements dont les montants sont inconnus, mais dans le bilan transmis aux créanciers, Todd a éliminé toute mention des cautionnements avec du liquide correcteur. Dans certains des documents que Todd a préparés, il est question d'une annexe contenant une courte liste des créanciers d'Alda qui avaient des cautionnements, mais cette annexe d'une page ne semble jamais avoir été jointe aux documents déposés auprès du BSF ou à ceux transmis aux créanciers. Cette annexe a aussi mystérieusement disparu du propre dossier de Todd, et personne d'autre ne l'a vue depuis. Or, M. Gary Davis, dont le témoignage est crédible, a affirmé que cette liste existait et que le nom d'AFC (dont la réclamation se chiffrait, en fin de compte, à des centaines de milliers de dollars) y figurait. Todd a décidé arbitrairement de ne pas considérer de tels cautionnements comme des dettes aux fins de la compilation de la liste de créanciers (à une occasion, il a déclaré qu'il n'avait pas l'habitude d'inclure les réclamations éventuelles). La liste étant constituée seulement des dettes personnelles, elle était plus courte, sauf que ce ne sont pas ces dettes qui, au départ, avaient motivé les débiteurs à présenter une proposition. Par contre, en excluant les cautionnements, l'endettement total était ramené sous la barre du maximum prescrit pour les propositions de consommateur.

Certains des créanciers qui avaient été avisés de la proposition et qui avaient déposé une preuve de réclamation n'étaient pas prêts à l'accepter. Compte tenu de la valeur des créances détenues par les créanciers en question (plus de 25 %), Todd était tenu de convoquer une assemblée des créanciers et de demander un vote sur la proposition. Or Todd a tout de même décidé qu'aucune assemblée n'était nécessaire et que la proposition était présumée avoir été acceptée.

Par conséquent, lorsque les débiteurs ont finalement satisfait, en 2001, à toutes leurs obligations aux termes de la proposition après avoir versé environ 7 000 $ au syndic (Todd leur avait dit que la proposition avait été acceptée), Todd a versé un dividende aux créanciers qui avaient produit une preuve de réclamation, il a délivré un certificat d'exécution intégrale de proposition de consommateur et a définitivement fermé son dossier. Il est même allé jusqu'à accepter une preuve de réclamation de la part d'un certain M. Vozza qui avait prêté de l'argent à Alda quelques années auparavant. Cette preuve de réclamation n'était pas adéquatement documentée en ce qui concerne la garantie invoquée et aucune annexe « A » n'y était jointe, comme le requièrent les Règles. Todd a simplement demandé à GD de lui confirmer verbalement que le montant était exact et qu'il s'était porté caution du prêt. L'acceptation de cette preuve de réclamation avait eu pour effet de réduire d'environ 50 % le montant payable aux autres créanciers. D'ailleurs, une question n'a jamais été clairement résolue : GD était-il effectivement personnellement responsable de cette dette pour le montant indiqué dans la preuve de réclamation ou ne s'était-il pas plutôt estimé responsable d'une dette due uniquement par ALDA parce que la dette était due à un ami qui avait octroyé le prêt plutôt qu'à un fournisseur? À un certain moment, Todd avait promis l'engagement de rembourser à l'actif le dividende versé à M. Vozza, mais il n'a jamais tenu sa promesse.

AFC n'a appris l'existence de la proposition qu'en 2001 quand elle a tenté de se prévaloir du cautionnement accordé par GD, et que Todd lui a indiqué que sa créance avait, selon lui, été annulée. AFC a alors intenté une poursuite en annulation de la proposition (mais elle s'est ravisée et s'est, par la suite, désistée de son action contre Mme Davis). En , la juge Boyd de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a annulé la proposition de GD. Dans sa décision, la juge Boyd a conclu que GD et AD avaient divulgué toutes leurs dettes à Todd y compris celles dues à AFC aux termes de leurs cautionnements, que Todd n'avait jamais rien fait pour informer les créanciers ou le BSF, que c'est à tort que la proposition avait été déposée, qu'AFC n'avait pas été avisée du dépôt de la proposition comme elle aurait du l'être, etc. Cette poursuite d'AFC a incité le BSF à instituer une enquête (il y avait eu un mélange dans les dossiers parce que l'ordinateur rejetait les documents qui ne portaient pas le nom de Deloitte comme administrateur). Deloitte n'a découvert qu'à la fin de 2002, après le départ d'Orrell, qu'elle avait été et était encore l'administrateur de la proposition. En , Deloitte a déposé un avis de requête demandant au tribunal de substituer TMI et Todd à Deloitte rétroactivement à 1999. Cette requête a été accordée en alors que Todd continuait à écrire à Deloitte pour lui dire qu'une telle ordonnance n'était pas nécessaire puisque tout le monde savait qu'il était l'administrateur de la proposition.

En 2002, le bureau de division du BSF à Vancouver a mené une enquête préliminaire, et, quand il a semblé y avoir des motifs d'imposer des mesures disciplinaires, le dossier a été confié à l'AP. L'AP a examiné l'affaire plus en profondeur pour déterminer quelles infractions pourraient être reprochées au syndic, quels documents devraient être annexés au rapport, etc. Elle a remis son rapport en 2004, et la présente instance a été immédiatement instituée.

Bref, les faits pertinents et les allégations essentielles que l'AP a énoncés dans son rapport sont étayés par des éléments de preuve clairs et convaincants ou ont fait l'objet d'aveux ou les deux. Ainsi, il a été établi que le syndic a commis les infractions qui lui étaient reprochées, et, si le moyen de défense voulant que la préparation du rapport ait pris trop de temps n'était pas retenu, il ne resterait qu'à déterminer la pénalité ou la sanction dont le syndic est passible, compte tenu de sa conduite.

III. La question de la durée de la préparation du rapport, soit de 2002 à 2004

Initialement, le moyen de défense invoqué par Todd consistait à justifier sa conduite en prétendant qu'elle avait été raisonnable et indiquée dans les circonstances. Avec le temps, il a complètement cessé d'essayer de justifier sa conduite et il a commencé à prétendre que la durée de la préparation du rapport lui ait causé un préjudice. Le dossier avait été confié à l'AP en 2002 pour qu'elle détermine si des mesures disciplinaires devaient être prises, et, dans l'affirmative, lesquelles, et elle avait déposé officiellement et signifié son rapport en 2004 (en matière d'instances disciplinaires comme en l'espèce, le dépôt et la signification d'un rapport constituent un acte introductif d'instance au même titre qu'une déclaration). Il prétend donc maintenant que son incapacité à expliquer sa conduite en 1999 résulte du passage du temps et qu'en raison de facteurs tels que la perte de mémoire, etc., il ne peut maintenant fournir une explication satisfaisante. Quand son propre avocat lui a demandé pourquoi il avait agi comme il l'avait fait et non autrement, il a souvent répondu qu'il ne s'en souvenait pas. La preuve documentaire étant claire et étayée par d'autres témoignages crédibles ainsi que par les propres aveux de Todd, il y aurait peut-être lieu de se demander si, dans les circonstances, de telles réponses ne sont pas, dans une certaine mesure, malhonnêtes ou intéressées.

Toutefois, dans l'hypothèse où son incapacité à se souvenir pourquoi il s'est conduit comme il l'a fait résulterait effectivement, du moins en partie, du passage du temps, il semblerait que la période entre 1999 et 2002 (pour laquelle il est l'unique responsable, les questions soulevées dans la présente instance n'ayant été portées à l'attention du BSF qu'en 2002 à la suite de l'intervention des autres parties, comme je l'ai mentionné ci-dessus) soit une cause beaucoup plus probable de ses pertes de mémoire que la durée de la préparation du rapport après 2002. Toute confusion dans la documentation contenue dans son dossier ou celui du BSF et toute lacune dans son propre dossier résulteraient également du fait que ses propres dossiers n'étaient pas en ordre et qu'il avait diverses façons de rédiger les documents. Todd ayant modifié certains documents et ces documents n'étant plus identiques à d'autres, il est donc devenu extrêmement difficile de comprendre quel actif ou quel syndic était concerné.

Le procureur de Todd s'est même, à un moment donné, plaint que la divulgation des éléments de preuve par l'AP comportait des lacunes et qu'il était difficile de se retrouver dans le dossier à cause des multiples copies de documents. Je tiens à préciser que l'AP a divulgué le dossier au complet, et que si confusion il y avait, Todd en était la cause.

Todd a aussi témoigné qu'en 1999 sa situation personnelle était très difficile : sa femme venait juste de le quitter, abandonnant, d'une part, sa mère, décédée depuis, qui a continué à demeurer avec lui et, d'autre part, leurs deux adolescents indisciplinés qui avaient des démêlés avec la justice. Il a aussi témoigné qu'il venait juste d'ouvrir son propre bureau de syndic (auparavant, il avait toujours travaillé pour un syndic corporatif) et, pour cette raison, ne savait pas trop comment administrer et documenter lui-même adéquatement les actifs (je rappelle qu'il était en train de s'associer avec M. McMahon, et que leur compagnie, TMI, attendait qu'une licence de syndic corporatif lui soit délivrée). D'après son témoignage, je pourrais être amené à conclure qu'en 1999 il était dépressif, indécis et ne maîtrisait pas sa situation. Il se peut que ces éléments de preuve aient eu comme objet principal d'atténuer la sévérité des sanctions que je pourrais être appelé à imposer, mais ils pourraient aussi expliquer en partie sa conduite qui démontre une absence systématique de jugement imputable à l'incompétence, la négligence ou les deux. Todd a cité comme témoins de moralité, deux amis qui sont membres d'une profession libérale. Ces témoins, qui ne sont pas au courant des faits dans la présente affaire, ont témoigné que Todd est compétent et a le sens de l'éthique. Il serait permis de déduire de ce témoignage que Todd ne s'est pas conduit dans le présent dossier de la façon dont la personne qu'ils ont appris à connaître l'aurait fait.

À en juger par tous les éléments de preuve, y compris le propre témoignage de Todd, je ne puis tirer une autre conclusion que celle voulant que le temps consacré à la préparation du rapport, c'est-à-dire de 2002 à 2004, ne lui a probablement causé aucun préjudice, mis à part l'écoulement du temps en soi, n'a en rien contribué à son incapacité à fournir des réponses complètes et à présenter une défense pleine et entière, ne lui a causé aucune injustice et ne pourrait justifier un rejet ou un sursis de la présente instance fondé sur des principes de droit administratif, comme les principes de justice naturelle et le droit à une audience équitable. Au contraire, toute incapacité à présenter une défense pleine et entière ne peut découler que des propres actions et omissions de Todd, à commencer par ses actions et omissions en 1999 qui ont provoqué un intermède de trois ans avant que le BSF soit même devenu conscient de la possibilité d'une inconduite professionnelle de la part de Todd et qu'il convenait d'examiner la question.

Même si la durée de la préparation du rapport, soit de 2002 à 2004, avait causé préjudice à Todd (ce que les éléments de preuve n'ont pas établi), cette durée ne serait pas déraisonnable dans les circonstances et pourrait s'expliquer par un certain nombre de facteurs. Par exemple : l'AP devait en même temps formuler des recommandations dans d'autres dossiers méritant une plus grande priorité, par exemple, les dossiers comportant des mesures conservatoires touchant le droit d'exercice d'un syndic (aucune telle mesure avait été prise dans le présent cas); le dossier était complexe; Todd avait semé la confusion en modifiant arbitrairement et unilatéralement les documents, ce qui les avait rendus plus difficiles à trouver et à colliger; les poursuites intentées par AFC et Deloitte étaient toujours en instance à la fin de 2002 et en 2003.

Par conséquent, le moyen de défense fondé sur une violation du droit du syndic à une audience équitable conformément aux principes de justice naturelle et la demande de sursis sont rejetés.

IV. Conclusions

Je conclus que les faits essentiels et les cas d'inconduite en particulier suivants que l'AP a allégués dans son rapport ont été prouvés :

  1. En ce qui concerne le syndic individuel : 
    1. il a conservé la possession du dossier et des fonds en fiducie et il a administré l'actif sans avoir été nommé à cette fin;
    2. il n'a pas fourni au BSF et aux créanciers une copie de la modification proposée pour remplacer Deloitte comme administrateur;
    3. il n'a pas convoqué d'assemblée de créanciers pour voter sur la modification de la proposition comme le prescrit la LFI;
    4. il n'a pas convoqué d'assemblée de créanciers pour voter sur la proposition, même s'il y avait suffisamment de votes contre la proposition pour le forcer à le faire et il a fait comme si la proposition avait été acceptée, violant ainsi la LFI;
    5. avant d'envoyer aux créanciers le bilan signé sous serment par les débiteurs et déposé au BSF, il l'a modifié de façon importante, violant ainsi le Code de déontologie;
    6. il n'a pas avisé chaque créancier de la proposition, contrairement à la LFI et aux Règles;
    7. il n'a pas respecté la LFI en acceptant la réclamation de M. John Vozza au lieu de l'examiner soigneusement et de la rejeter;
    8. il n'a pas exécuté ses fonctions de façon compétente et avec tout le soin nécessaire et il a causé préjudice aux créanciers, aux débiteurs, à Deloitte et à Orrell, violant ainsi le Code de déontologie.
  2. En ce qui concerne le syndic corporatif :
    1. il a conservé possession du dossier et des fonds en fiducie et a administré l'actif sans avoir été nommé à cette fin;
    2. il a versé un dividende à M. John Vozza, dont la preuve de réclamation n'était pas valide;
    3. il n'a pas exécuté ses fonctions de façon compétente et avec tout le soin nécessaire, violant ainsi le Code de déontologie.

Par conséquent, j'ordonne aux parties de signifier et de déposer leurs représentations par écrit sur les sanctions dans l'ordre suivant : l'AP a deux semaines à compter de la date de la présente décision pour déposer ses représentations; le syndic individuel et le syndic titulaire d'une licence pour une personne morale ont deux semaines à compter de la date de réception des représentations de l'AP pour déposer leur réponse; l'AP a une autre semaine à compter de la réception de la réponse des syndics pour déposer une réfutation par écrit. J'organiserai ensuite une téléconférence avec les parties pour entendre leurs arguments et rendrai par la suite ma décision sur la pénalité.

Fait à Montréal, ce
L'honorable Perry Meyer, Q.C.
Délégué du surintendant des faillites