Samuel S. Lévy et Sam Lévy & Associés Inc. — 4 décembre 2003

Décision sur la conduite professionnelle

Qu'est-ce qu'une décision sur la conduite professionnelle?

Le BSF ouvre une enquête sur la conduite professionnelle d'un syndic autorisé en insolvabilité (SAI) lorsqu'il dispose d'information laissant croire que le SAI n'a pas rempli adéquatement ses fonctions, n'a pas administré un dossier comme il se doit ou n'a pas respecté la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI).

Dans certains cas, les conclusions de l'enquête sont suffisamment graves pour donner lieu à une recommandation de sanction visant la licence d'un SAI [annulation ou suspension de la licence en vertu du paragraphe 13.2(5)] ou imposition de conditions ou de restrictions en vertu du paragraphe 14.01(1) de la LFI.

La décision sur la conduite professionnelle est assimilée à celle d'un office fédéral et peut faire l'objet d'un examen judiciaire par la Cour fédérale.

Dans l'affaire des Instances de discipline professionnelle en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité concernant Sam Lévy & Associés inc., titulaire d'une licence de syndic pour une personne morale, et Sam Lévy, titulaire d'une licence de syndic.

Tel que j'en ai discuté avec les parties il y a quelque temps, la présente affaire a été entendue et la preuve présentée le 10 novembre 2003. Les avocats du titulaire d'une licence de syndic pour personne morale et du titulaire d'une licence de syndic avaient fait savoir qu'ils présenteraient à ce moment-là quatre requêtes préliminaires, dont des copies m'ont été envoyées, en plus d'être signifiées aux avocats de l'analyste principal.

Dans les requêtes, rédigées de façon très détaillée, il était demandé (1) qu'il soit mis fin à toutes les instances contre les syndics, au motif que les garanties procédurales prévues par la loi étaient insuffisantes pour garantir une audition juste et équitable; (2) que l'audition, si celle-ci devait avoir lieu, soit tenue à huis clos; (3) que j'indique le fardeau de la preuve dont devait s'acquitter l'analyste principal afin d'avoir gain de cause; (4) que l'audition soit retardée jusqu'à ce que la Cour d'appel du Québec rende son jugement dans l'affaire Métivier. Puisque le jugement dans cette affaire a été rendu avant l'audition, la dernière requête est devenue sans objet.

Cependant, avant de débattre les trois autres requêtes, les avocats des syndics ont présenté une cinquième requête, sans qu'un avis m'ait été donné ou ait été donné à l'avocat de l'analyste principal. Elle s'intitule Requête pour faire déclarer inopérants les articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et pour arrêt de procédures et sa conclusion est formulée en des termes semblables à ceux que propose son titre.

La première question porte sur ma compétence pour instruire une requête fondée sur des moyens constitutionnels. Certes, je n'ai pas le pouvoir de déclarer une loi inconstitutionnelle, et les avocats des syndics en conviennent. Toutefois, ils soutiennent que, compte tenu du jugement récent rendu par la Cour suprême du Canada dans Martin c. Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) (3 octobre 2003), j'ai le pouvoir, en tant que tribunal administratif compétent, d'entendre l'argument constitutionnel et, si je conclus à l'inconstitutionnalité des articles contestés, de déclarer ces derniers inopérants en ce qui concerne l'affaire dont je suis saisi.

À l'issue des arguments présentés sur la question de la compétence par les avocats des syndics, les avocats de l'analyste principal, ayant été pris par surprise, ont demandé un délai pour obtenir des directives supplémentaires et préparer une réponse. Par conséquent, j'ai alors ajourné l'audition et, après deux conférences téléphoniques avec tous les avocats, j'ai ordonné la reprise de l'audition le 25 novembre, date à laquelle elle a eu lieu.

À la reprise de l'audition, les avocats de l'analyste principal ont soutenu que je n'avais pas compétence pour recevoir la requête et encore moins pour me prononcer sur la teneur de celle-ci.

Leur argumentation, énoncée dans leur Plan d'argumentation, repose sur certaines propositions, lesquelles peuvent être résumées comme suit :

  1. Les questions constitutionnelles ne peuvent être tranchées dans le vide. Puisque les articles contestés de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (« LFI ») sont « neutres », leur application par le tribunal qui en est chargé doit être examinée, ce qui ne peut être fait qu'ex post facto.
  2. Quoi qu'il en soit, les questions soulevées par la requête relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale.

À la lumière de l'arrêt Métivier c. Mayrand (Cour d'appel du Québec, 30 octobre 2003), je conviens qu'il faudra beaucoup se fier à la façon dont le tribunal (en l'espèce, le délégué du surintendant) applique les dispositions des articles 14.01, 14.02 et 14.03. Cependant, il est actuellement présumé que les dispositions seront appliquées de manière à protéger les droits constitutionnels des syndics. Par conséquent, il est trop tôt pour traiter de certaines questions soulevées dans la requête. Toutefois, il existe également d'autres questions; je renvoie notamment aux alinéas 14 et suivants de la requête des syndics. Il s'agit de questions qui, à première vue, ne dépendent pas de décisions rendues dans le cadre de l'audition. À mon avis, si en fait j'ai la compétence nécessaire pour les examiner (un point dont je traite ci-dessous), les syndics ont le droit de les soulever in limine.

Par conséquent, je dois maintenant décider si les règles énoncées dans l'arrêt Martin sont suffisamment générales pour me permettre d'instruire et de trancher la requête dont je suis présentement saisi. Si j'ai la compétence nécessaire, je pourrai entendre les arguments sur le bien-fondé de la requête; sinon, l'affaire s'arrête là, du moins pour l'instant.

L'arrêt Martin permet de trancher la question de la compétence (ou de l'absence de compétence). Il s'agit d'un arrêt unanime rendu par une formation complète de la Cour suprême du Canada. Dans le sommaire officiel, la Cour indique notamment que

les Canadiens doivent pouvoir faire valoir les droits et libertés que leur garantit la Constitution devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles. Permettre aux tribunaux administratifs de trancher des questions relatives à la Charte ne mine pas le rôle d'arbitre ultime que les cours de justice jouent en matière de constitutionnalité au Canada.

Dans le sommaire (qui, à mon avis, constitue un résumé exact du jugement), la Cour ajoute que

[l]es décisions d'un tribunal administratif fondées sur la Charte sont assujetties au contrôle judiciaire suivant la norme de la décision correcte. En outre, les réparations constitutionnelles relevant des tribunaux administratifs sont limitées et n'incluent pas les déclarations générales d'invalidité. La décision d'un tribunal administratif qu'une disposition de sa loi habilitante est invalide au regard de la Charte ne lie pas les décideurs qui se prononceront ultérieurement dans le cadre ou en dehors du régime administratif de ce tribunal. Ce n'est qu'en obtenant d'une cour de justice une déclaration formelle d'invalidité qu'une partie peut établir, pour l'avenir, l'invalidité générale d'une disposition législative.

Quant à l'application pratique de la règle, la Cour (toujours dans le sommaire) a précisé ce qui suit :

Les tribunaux administratifs ayant compétence, expresse ou implicite, pour trancher les questions de droit découlant de l'application d'une disposition législative sont présumés avoir le pouvoir concomitant de statuer sur la constitutionnalité de cette disposition. Pour appliquer cette approche, il n'est pas nécessaire d'établir une distinction entre les questions de droit « générales » et les questions de droit « limitées ». La compétence expresse est celle exprimée dans le libellé de la disposition habilitante. La compétence implicite ressort de l'examen de la loi dans son ensemble. Les facteurs pertinents sont notamment les suivants : la mission que la loi confie au tribunal administratif en cause et la question de savoir s'il est nécessaire de trancher des questions de droit pour accomplir efficacement cette mission; l'interaction entre ce tribunal et les autres composantes du régime administratif; la question de savoir si le tribunal est une instance juridictionnelle; des considérations pratiques telle la capacité du tribunal d'examiner des questions de droit.

Je tiens à souligner que je souscris à l'argument présenté par les avocats de l'analyste principal selon lequel il existe des différences importantes entre le Workers' Compensation Appeals Tribunal de la Nouvelle-Écosse et le régime établi aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité quant à l'instruction des plaintes portées contre un syndic. Par exemple, l'article 164 de la Workers' Compensation Act (« WCA ») de la Nouvelle-Écosse prévoit que [TRADUCTION] « [l]a Commission peut appliquer toute loi du Parlement du Canada » concernant le paiement d'une indemnité. La LFI ne prévoit aucune disposition similaire. Plus important encore, le paragraphe 185(1) de la WCA confère expressément à la Commission [TRADUCTION] « la compétence exclusive pour examiner, entendre et trancher toutes les questions de fait et de droit découlant de la présente partie […] » (c'est moi qui souligne).

En dernier lieu (et je n'ai abordé que les différences les plus importantes), les décisions de la Workers' Compensation Board sont susceptibles d'appel devant un tribunal d'appel. Les appels (Cour d'appel et C.S.C.) interjetés dans l'affaire Martin ont été entendus par suite d'un jugement rendu par ce tribunal d'appel.

Néanmoins, malgré de telles différences, je conclus que le jugement rendu dans l'arrêt Martin est suffisamment général pour s'appliquer aux auditions tenues par le surintendant ou son délégué aux termes des articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la LFI. Le tribunal ainsi convoqué est un tribunal administratif; il est tacitement (ou, selon le juge Gonthier dans l'arrêt Martin, « implicitement ») autorisé à trancher des questions de droit et compétent (d'un point de vue juridique) pour trancher de telles questions.

Les parties disposent également d'une protection prévue au paragraphe 14.02(5) de la LFI, lequel prévoit que toute décision du surintendant rendue conformément au paragraphe 14.02(4) « est assimilée à celle d'un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d'examen et d'annulation prévu à la Loi sur la Cour fédérale ».

Par conséquent, je suis confiant que, si je rendais une décision erronée dans la présente affaire, que ce soit maintenant ou à l'avenir, toute erreur serait corrigée au moment opportun par la Cour fédérale.

Ainsi, pour les motifs énoncés ci-haut, je suis d'avis de rejeter l'objection à deux volets des avocats de l'analyste principal et de déclarer que j'ai compétence pour instruire la requête présentée par les avocats des syndics. La prochaine étape consiste donc à statuer au fond sur la requête; j'invite les avocats à me consulter afin de fixer une date pour la poursuite de la présente affaire.

Fait à Toronto (Ontario), le .

L'hon. Fred Kaufman, c.r.,
Délégué du surintendant des faillites


Le présent document a été reproduit dans sa version originale, telle que fournie par le délégué du surintendant des faillites.